Amazonie sanglante : un conte (d'auteur) de Noël
- ericfritschrenard
- 13 févr. 2024
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 mai 2024

Note de l'auteur : Le conseil ça mène à tout, même à faire détective par accident. Méfiez vous des commandes sur internet et de vos collègues
Note de l'auteur 2 : ambiance musicale par ordre d'apparition - "Antisocial" de Trust, "L'aventurier" d'Indochine, "Learning to fly" de Tom Petty & the Heartbreakers, "Born to be wild" de Steppenwolf et "La complainte du progrès" de Boris Vian.
Note de l'auteur 3 : La photo ci-dessus est celle d'un buste de Verlaine à Metz (cravaté une fois par an, mais pas ce jour là)
Note de l'auteur 4 : Toute ressemblance avec des faits réels serait vraiment pas d'bol
Note de l'auteur 5 : trop de notes tue les notes
En retard, la tête endormie, il avait cherché une faille dans l'argumentation de la direction la veille au soir, tard, très tard, trop tard, beaucoup trop tard (avec un « beau » long et sonore).
Olivier venait de Paris. Il avait pris le train grande vitesse pour ce qu'il appelait son voyage en Amazonie.
Une mission acceptée par sa hiérarchie qui consistait à essayer de comprendre pourquoi un robot cuiseur multifonctions (Graal des ustensiles de cuisine du début du 21ème siècle) était tombé sur la figure d'un cariste du nouveau site Amazon en banlieue messine. Le troisième. Une vraie révolte des robots. Saint Asimov priez pour nous.
Dans sa vie professionnelle, Olivier défend la veuve et l'orphelin, incarnés en l'occurrence par des syndicalistes moustachus au savoir faire ancestral en cuisson des merguez sur feu de palettes, de passionarias louisemichelesques tendance gilet jaune (ceux des carrefours ou ceux de Karl Lagerfeld), et d'adhérents au « travailleurs de tous les pays, unissez vous » perdus au milieu des soubresauts géopolitiques de la guerre sainte économique, des engueulades avec les syndicats « moins à gauche que moi tu es côté à Wall Street » et de la section néo-trotskiste de Maurice « je peux pas le piffrer, il couche avec Ludivine ma belle sœur, ça met le souk dans la famille ».
Sa mission, Olivier l'avait acceptée dans l'espoir d'une prime substantielle de fin d'année. Le calcul en était particulièrement mystérieux à en croire la tête ahurie (à la limite de la panique) de son manager. La mission consistait à comprendre la chute des robots cuiseurs, par une batterie d'entretiens, d'observation de terrain, de fichiers de calcul aussi abscons qu'un catalogue d'exposition picturale post-moderne et de "slides" pyrotechniques ("slide" étant le franglish de "transparent", lui même résultat d'une utilisation surannée d'un mot ayant perdu tout sens avec la numérisation de la pensée en petits rectangles aux sentences définitives). La demande émanait du comité économique et social (sorte de soviet des salariés mais en plus bigarré, le rouge n'étant pas toujours une couleur facile à porter). Bernadette en est la secrétaire, première interlocutrice du représentant de Jeff Bezos (patron d'Amazon) sur terre, porte drapeau nicotiné des salariés, fatiguée des frasques de Maurice comme le souligne la lettre de l'avocat commis par ses soins pour gérer fissa leur divorce. Elle a bien sûr été surnommée Bernie par un bon voisin, et ça lui est resté (ceux qui ont noté le jeu de mot subtil ont déjà hurlé « antisocial, tu perds ton sang froid »).
Bernie sentait fort « Sueur » de Jeff Bezos, le parfum tendance dans ces immenses entrepôts orgiaques où des bips numériques avaient de toute évidence pris le pouvoir sur une humanité asservie. Mais de là à accepter la mort par robot cuiseur, il y avait un pas que les syndicats ne voulaient pas franchir. La colère et la révolte grondaient comme le tonnerre d'hiver balbutiant qui avait accueilli Olivier à la gare de Metz (certifiée plus belle gare de France, malgré sa génétique germanique).
Olivier regardait la pointe de ses chaussures usées (sa dernière conquête lui avait pourtant dit d'investir), debout dans la salle du comité économique et social. Il recherchait au fond de son crâne une énième pirouette pour avoir l'air intelligent, alors même qu'il n'avait pas la moindre idée de ce qui se passait dans ce foutu entrepôt qui tuait avec une délicatesse pachydermique ses employés et le petit commerce.
Pour tout dire, Olivier pensait surtout à son déménagement à Metz dans quelques semaines. Un renouveau vers un bel avenir familial et provincial ou un naufrage au milieu d'autochtones germanophones à l'hostilité parfumée de cannelle ?
Finalement il n'y avait pas tant de germanophones que ça, ici, contrairement à ce que lui avaient susurré ses amis parisiens. Bon signe, peut-être.
Olivier tira sa barbe naissante de hipster et son esprit de la rêverie pour couper la parole à la volubile Bernie. Il lui fit part de son plan d'attaque, d'analyse, se reprit t'il. « Putain, attaque c'est mieux, il me font chier les capitalistes, les robots cuiseurs et Maurice » dit Bernie avec poésie dans un micro de karaoke qui trainait dans le local. Grâce à des compétences acquises par des heures de stages d'écoute active et de styles de communication, ainsi que de beuveries avec des potes, Olivier expliqua calmement qu'il ne faudrait pas mettre la priorité sur Maurice, et que pour les capitalistes on pouvait peut-être attendre après sa retraite.
Olivier venait tous juste de relever le nez de ses chaussures décidément trop fatiguées, quand Bernard est entré dans la pièce, livide : « il y a l'intégrale de Guillaume Musso qui vient de s'écrouler sur Jean-Pierre ! »
Olivier se dit qu'il y a quand même des écrivains à succès un peu lourdingues. Bernie, Bernard, Olivier et, soudain surgit face au vent, Maurice se ruèrent vers le lieu du drame. Jean-Pierre gisait au milieu de son sang vacciné trois doses, des best-sellers éparpillés et donc des visages multipliés de l'écrivain beau gosse à la rondeur apaisante.
Leur jus de crâne collectif (collectiviste pour certains), renforcé par celui du responsable sécurité et par celui du chef d'équipe arriva à la conclusion que ce ne pouvait pas être un accident. Maurice avança que c'était sacrément léger les Musso depuis qu'il n'était plus chez l'éditeur XO. Bernie, paraphrasant Tom Petty & the Heartbreakers, grommela que tout ce qui monte doit redescendre sur la gueule du prolétariat. Olivier tint à préciser que les enquêtes de police n'entraient pas dans le cadre de l'agrément de son cabinet, et qu'il pouvait juste dire que si c'était un accident, cela relevait d'une incroyable succession de « pas d'bol », succession statistiquement improbable sauf dans un scénario de sitcom à la française. Les deux cadres eurent un sursaut simultané et firent bloquer toutes les issues, déclencher les alarmes et prévenir les avocats de la société, « parce que si ce n'est pas un accident, on va être dans la merde » (analyse technique irréprochable).
Bernie n'aime pas Maurice. On vous l'a déjà dit. Mais maintenant Olivier se dit que le personnage a une attitude étrange (et on ne parle pas de ses frasques extra-conjugales ou trotskistes). Maurice s'est éloigné d'eux « pour faire une assemblée de son syndicat ». Olivier a noté le vibrato de la voix, les yeux fuyants.
Il se souvient que le Maurice (comme disent les locaux) n'était pas avec eux quand le meurtre, car il s'agit bien d'un meurtre, a eu lieu.
Olivier tire Bernie par l'épaule et interpelle le responsable d'équipe : « venez ». Ils emboîtent le pas de Maurice qui vient de tourner dans le rayonnage des téléphones portables. Ils esquivent deux chariots autonomes et leurs esclaves humains.
A l'angle des ustensiles de salle de bain et des robots cuiseurs, Maurice rejoint un homme et une femme qui ne portent pas de chasubles amazoniennes. Olivier et ses acolytes accélèrent pour les rejoindre, ses chaussures usées couinent (sa compagne précédente lui avait aussi fait remarqué qu'il aurait pu acheter de nouvelles chaussures). Maurice se retourne, les voit. Il monte avec ses deux sbires sur un chariot qui passe en éjectant son servant asservi. Le chariot démarre. Le responsable d'équipe intercepte un autre chariot et fait monter Bernie et Olivier avec lui. La poursuite commence. « Born to be wild » s'élève dans le temple de la consommation hystérique. Les racks avec les chaussures, les tondeuses, les sacs à mains,
« Un frigidaire,
Un joli scooter,
Un atomixer,
Et du Dunlopillo,
Une cuisinière
Avec un four en verre,
Des tas de couverts,
Et des pelles à gâteaux »
passent à toute vitesse.
Les fugitifs sont à quelques mètres, ils se rapprochent. C'est à ce moment que le chariot des poursuivants commence à ralentir enchaînant des « Time to pee » (« pause toilettes » version Harvard). Encore et encore. Olivier est à deux doigt d'exécrer le code du travail quand le responsable d'équipe lui demande d'appuyer sur le bouton rouge à gauche.
« C'est quoi ? »
« Le passage en code du travail ouïghour en Chine » répond l'amazonien rigolard.
Le chariot repart de plus belle. Rattrape les, de plus en plus, coupables.
Touche touche genre Ben Hur. Carambolage. Encastrement dans les rayonnages de fromages de chèvre.
Fin de la poursuite.
Le service de sécurité, suivi un peu plus tard par la police, a commencé les interrogatoires dans la grande salle de réunion.
Le premier suspect, Maurice, vous le connaissez.
Son mobile ? Un galimatias marxiste new-age d'où il ressortait que « La littérature est la métamphétamine du peuple ».
« Et pourquoi les robots cuiseurs pour tuer ? »
« Les cuisiniers... »
« Hein ? »
« Vous n'avez pas vu Breaking Bad ? C'est dans le rack E32-56 pour trouver le DVD »
Les interrogateurs levèrent les yeux au ciel, ou au plafond du bureau plutôt (et finalement renouvelèrent leur abonnement à Netflix).
Les deux complices de Maurice n'étaient pas des salariés d'Amazon, ce qui a un peu calmé les avocats de la société. Ils étaient les commanditaires du dernier crime, et avaient repéré la littérature de Maurice sur un réseau (a)social. Il leur semblait être un bon candidat pour mettre en œuvre leur plan machiavélique d'élimination de la concurrence (un peu trop pure et parfaite).
« Monsieur ! Nom ? »
« Lévy »
« Prénom ? »
« Marc »
« Profession ? »
« auteur à succès depuis plus longtemps que cette baudruche de Musso »
« Madame ! Nom ? »
« Valognes »
« Prénom ? »
« Aurélie »
« Profession ? »
« Autrice à succès en plus positif que ce spécialiste du suspens à deux balles de Musso »
Olivier a été réveillé par la douce voix de son voisin de train qui lui susurrait « Beweg deinen Arsch, Arschloch » (que l'on peut traduire par : "pouvez vous me laisser passer s'il vous plait ?" si on est doté d'une pudeur naturelle). Son livre est tombé sur ses chaussures mal cirées. C'était "Angélique", le dernier Musso.
La gare de Metz, c'est dans un quart d'heure.
Bien vu
Le monde est impitoyable ;)
Et selon les regards, à mourir … de rire
Moralité : achète dans ta zone si tu ne veux pas risquer l'attaque de Valognes !
Ou remake de ''au nom de la rose''...
Encore et toujours bravo! Musso n'a qu'à bien se tenir je dis !